Gabonaises, Gabonais, la scène politique gabonaise est en ébullition depuis les événements du 29 août 2023. Alors que le pays entame une transition politique complexe, l’ancien président Ali Bongo Ondimba a rompu le silence, non sans polémiques, dans un discours empreint d'émotion et de désaveux. Un texte qui, pour certains, sonne comme une ultime tentative d'effacement des responsabilités, tandis que pour d'autres, il marque le passage d’une page politique encore amère à tourner.
Ali Bongo, dont la famille a régné sans partage sur le Gabon pendant plus de cinq décennies, évoque dans son message les circonstances “douloureuses” qui ont mis fin à son mandat. Dans un aveu à demi-mot, il semble reconnaître que le régime qu’il a dirigé, et qui l'a élevé au sommet du pouvoir, s'est retourné contre lui et les siens. Une “famille, symbole d’une époque”, dit-il, dont les membres, sa femme Sylvia et son fils Noureddin, seraient désormais les boucs-émissaires d’une machine infernale qu’il avait, d’une certaine manière, contribué à alimenter. Mais derrière ces phrases sibyllines, une question demeure : Ali Bongo se présente-t-il comme la victime d’un système qu’il a lui-même façonné ?
Son appel à la “réconciliation nationale” et à l'arrêt des "violences et tortures" contre sa famille résonne comme une tentative de repositionnement. Le peuple gabonais, qui a souffert sous la férule de cette dynastie, doit-il désormais s’apitoyer sur le sort des Bongo ? L’ancien président demande la libération immédiate de sa femme et de son fils, dénonçant des “sévices” qu’ils subiraient depuis plus d’un an, tout en reconnaissant sa propre surveillance quotidienne. Pourtant, cette même surveillance, imposée par un régime militaire désormais en place, n’est-elle pas le juste retour d’un système où des milliers de Gabonais ont été soumis à une oppression politique, économique et sociale sans précédent ?
Là où le discours se drape d’humanisme, la réalité politique frappe durement. Ali Bongo, qui fut pendant de longues années le visage du Gabon à l’international, n’a-t-il pas contribué à la détérioration du climat démocratique, économique et social du pays ? Certes, il admet des insuffisances, et son “plus grand regret” est de ne pas avoir réussi à éradiquer la souffrance du peuple. Mais cette reconnaissance tardive n’efface en rien les profondes fractures laissées par un pouvoir héréditaire et opaque.
En demandant aux Gabonais de renoncer à la vengeance, Bongo semble oublier que ce peuple aspire avant tout à la justice. Une justice que lui-même, durant ses mandats successifs, n’a jamais su incarner. Les Gabonais, qui n’ont jamais véritablement eu leur mot à dire dans l’histoire de leur propre pays, se voient une fois de plus confrontés à l’éternelle rhétorique de la paix et de l’harmonie. Mais comment parler d’harmonie lorsque l’on a été privé, durant des décennies, de liberté d’expression, de démocratie véritable et de droits fondamentaux ?
La victimisation de la famille Bongo, tout en occultant leur responsabilité directe dans les difficultés que traverse le pays, frôle l'indécence. Sylvia et Noureddin sont-ils véritablement les innocents martyrs qu’Ali Bongo décrit ? Ou bien ont-ils, eux aussi, été les acteurs d’un système corrompu qui n’a cessé de se nourrir des ressources d’un pays riche, tandis que la majorité de la population continuait de souffrir ?
Le Gabon de demain, celui que Bongo appelle à “écrire avec harmonie et humanité”, ne pourra se construire sur l’oubli des erreurs du passé. Si une transition politique s’amorce aujourd'hui, il est crucial que la justice — et non la vengeance — guide les pas des nouveaux
dirigeants. Quant à Ali Bongo, son retrait définitif de la vie politique, annoncé dans son message, pourrait bien être accueilli par les Gabonais non comme un acte de grandeur, mais comme la simple conclusion d’un règne qui aurait dû prendre fin bien plus tôt.
Le Gabon, comme l’ancien président le dit si bien, est “un pays d’honneur”. Un pays qui mérite d'écrire son histoire, non sous la coupe d’une dynastie, mais avec la voix de son peuple. Ali Bongo demande la paix et la libération des siens, mais les Gabonais attendent avant tout des réponses et une véritable justice. L'heure est venue pour le pays de se libérer de ses chaînes historiques et de construire, enfin, une démocratie digne de ce nom.
Reste à savoir si la page se tournera avec douceur ou dans le fracas des mémoires que certains préféreraient enterrer.
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